La prise en considération du réchauffement climatique peine à s'imposer dans les décisions d'investissement en Suisse. L'approche conservatrice des professionnels et des caisses de pension helvétiques relègue le pays loin des pionniers comme la Suède, la Norvège ou la France.
Des initiatives existent pour tenter de rattraper le retard dans la prise en considération du réchauffement climatique. L'Office fédéral de l'environnement (OFEV) proposera en 2017 aux institutionnels une évaluation gratuite du risque carbone de leurs portefeuilles financiers.
Le terme "retardataire" revient de manière incessante dans la bouche des experts interrogés par l'agence financière awp. La Suisse regorge de sociétés financières et d'institutions spécialisées dans le domaine du climat, mais certains investisseurs négligent parfois encore l'empreinte carbone des entreprises dans lesquelles ils engagent des fonds.
La place financière helvétique favorise un scénario induisant une réchauffement climatique de 4-6 degrés Celsius par rapport à la période préindustrielle, selon une étude publiée en 2015 sur mandat de l'Ofev. Cette estimation, toujours d'actualité, dépasse largement l'objectif de 2 degrés fixé dans l'accord climatique de Paris, dont l'application a occupé les participants de la COP22 à Marrakech, en novembre.
Décarbonisation en marche
Malgré tout, la "décarbonisation" des portefeuilles suisse est en marche. "Il y a encore deux ans, la compréhension du risque climatique était inexistante auprès des grands détenteurs d'actifs. La situation a changé", explique Maximilian Horster, associé de South Pole, société zurichoise de conseil.
De plus, il faut relativiser cette notion de retard, selon Silvia Ruprecht-Martignoli, collaboratrice scientifique auprès de l'OFEV, section politique climatique. "Comparé aux pays nordiques ou à la France, c'est justifié. Toutefois, l'intérêt pour la prise en compte de l'impact sur le climat (...) augmente."
L'évolution des mentalités se heurte toutefois à des obstacles, en premier lieu au manque de transparence et de normes reconnues. Une même entreprise pourra ainsi présenter des empreintes carbone différentes suivant le standard d'évaluation auquel on se réfère.
"Des systèmes harmonisés commencent à voir le jour. Mais tant qu'un système mondial fera défaut, le problème ne pourra pas être considéré comme résolu", regrette Jean-Charles Rochet, directeur de la recherche auprès du Swiss Finance Institute.
Afin de pallier ce manque, l'agence de notation Standard & Poor's et la société d'investissement zurichoise RobecoSAM ont lancé en 2015 une famille de 24 indices financiers "zéro carbone" couvrant les 2000 plus grandes sociétés mondiales.
Rendements intéressants
L'OFEV a apporté sa pierre à l'édifice avec deux études, dont la dernière en novembre, vise à combattre l'opinion selon laquelle investissement responsable rime avec rendement négligeable. "Des études ont démontré que la gestion passive corrélée à des indices favorables au climat présente la plupart du temps un rapport risque/rendement plus intéressant en comparaison à des investissements classiques", affirme Mme Ruprecht.
Dans le domaine de la prévoyance professionnelle, le bilan s'avère contrasté. Chaque année, un habitant suisse émet en moyenne 9 tonnes d'équivalent CO2 via le financement de sa retraite, soit une fois et demie les émissions liées à son activité, selon South Pole.
"En Suisse, les caisses de pension ne peuvent pas être considérées comme des pionnières", note Roland Hengerer, chercheur chez RobecoSAM, s'appuyant sur les résultats d'une étude du WWF de 2015. Parmi les plus importantes du pays, les fonds de retraite de l'Etat de Genève ou de la Poste présentent au mieux des "bonnes pratiques".
Test de compatibilité
A l'initiative de l'OFEV, les caisses de pension et assurances helvétiques pourront se soumettre entre avril et juin 2017 à un test gratuit de compatibilité climatique, sur une base volontaire. La Confédération réalisera une analyse des données, en préservant l'anonymat des participants.
Du côté des banques, Credit Suisse et UBS sont signataires du Principe des Nations Unies pour l'investissement responsable, au même titre que les romands Pictet, Lombard Odier, UBP ou Mirabaud.
En 2015, UBS a procédé à une évaluation des risques liés à une augmentation des réglementations en matière climatiques. Credit Suisse a renforcé ses capacités de contrôle de l'empreinte carbone de ses placements en actions.
Chez Lombard Odier, l'engagement remonte à 1997, année du protocole de Kyoto. Pictet a notamment lancé en 2007 un fonds dévolu aux entreprises engagées dans la transition énergétique. UBP est également investi dans ce domaine, mais avoue que la réflexion sur le risque carbone n'a été amorcée que récemment.
La Banque cantonale vaudoise (BCV) reconnaît que la demande pour une gestion responsable est faible. "Cette dimension n'est pas intégrée dans notre processus de gestion. (awp)